Newsletter n°14
14 mars 2023
Lecture...
par Yves Daemers
Clotilde Leguil, lors de sa première conférence le 7 janvier dernier, a abordé « Les obstacles contemporains à l’interprétation ». Elle nous a montré, avec la clarté logique dont elle est coutumière, que faire une psychanalyse nécessite un consentement.
Il s’agit de consentir d’abord à ne pas savoir qui on est, en faire une question qui pourra déboucher sur une demande d’analyse, alors que l’époque est à l’auto-nomination revendiquée. Plus qu’à un « Qui suis-je ? » nous sommes à l’ère du « Je sais qui je suis, et je le revendique », ce qui n’est plus une question qui s’adresse à l’Autre, mais une affirmation qui tend à se passer de l’Autre. C. Leguil a employé les formidables formules d’« infatuation identitaire » et d’« armure imaginaire » pour montrer que c’est bien l’imaginaire qui est là aux commandes.
Freud faisait de l’interprétation le moyen de trouver un sens caché dans la parole. L’analyse demande donc de consentir à ne pas savoir ce qu’on dit et que l’on ne dit jamais exactement ce que l’on voudrait dire : expérimenter que la parole ne dit pas tout et qu’il arrive même que l’on dise exactement l’inverse de ce que l’on voudrait.
J. L. Austin en 1962, puis surtout Judith Butler depuis 1990, ont diffusé dans les sociétés occidentales une dimension performative du langage dans laquelle dire devient l’équivalent de faire. Énoncer une phrase revient, pour J. Butler, à exécuter une action. Jacques Lacan, à l’inverse, avait plutôt mis en avant la fonction créatrice du langage. C’est par la métaphore et la métonymie que le sujet tente de dire. Donc par des artifices puisqu’il ne peut jamais dire tout ce qu’il veut dire. Le sujet rate toujours à dire, il se doit alors d’être inventif.
La répétition peut venir perturber ce désir de maîtrise contemporain, briser des certitudes et amener un sujet vers une question qu’il peut adresser à un analyste. L’analyse ne peut commencer sans ce « miracle du transfert », sans consentir à ce qu’il y ait un savoir sur soi que l’analyste, par ses interprétations, peut aider à mettre au jour. Ce transfert permet un engagement dans l’expérience analytique, qui est un acte, un pacte de parole avec un analyste, où il s’agira de cheminer avec la parole dans le non-savoir.
C’est dans ce pacte de parole, où l’analysant se libère des conventions de la courtoisie, de la cohérence ou de la politesse, qu’il expérimente que les signifiants sont les signifiants de l’Autre. Le sujet qui parle s’aperçoit qu’il est parlé par l’Autre. C’est ce que Lacan écrit dans « Subversion du sujet et dialectique du désir » : « Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle [1] ». L’interprétation, nous dit C. Leguil, peut permettre qu’un nouvel oracle surgisse et amène un peu plus de vie au sujet.
Après Les obstacles contemporains, C. Leguil continuera, le 25 mars prochain, sa série de conférences sur l’interprétation avec ce titre : « Présence de l’analyste et expériences de l’inconscient ». Nous aurons toujours à l’esprit le titre général de cette série : « Les chemins de l’analyse, depuis l’expérience de l’énigme de la vérité jusqu’à celle de l’épreuve du réel ».
[1] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 808.