Newsletter n°5
Spécial Rentrée des cartels
30 juin 2022
La rentrée des cartels
Interview de Dominique Corpelet
Responsable de la commission des cartels
@propos : Cher Dominique Corpelet, vous serez notre invité pour La rentrée des cartels le 17 septembre à Nice. Vous êtes membre de l’École de la Cause freudienne et actuellement responsable de la commission des cartels. Lors de cet après-midi de travail, des cartellisants s’étant orientés de la formule « L’École de Lacan » y exposeront leurs productions. Que vous inspire la formule L’École de Lacan ?
Dominique Corpelet : Je vais reprendre l’un après l’autre les trois termes qui forment ce syntagme. Prenons d’abord le terme d’École. École n’est ni association, ni société, ni institut, ni groupe, ni tout autre terme désignant un collectif. Le lien social qu’elle assure ne relève pas de l’association fraternelle, dont parle Freud dans Totem et tabou1. Le nouage assuré par l’École est d’un autre ordre. Le signifiant École s’inscrit dans une tradition, celle, philosophique, de l’enseignement oral autour d’un maître, des écoles de pensée. École évoque un enseignement, une transmission et le goût du débat. Elle implique un engagement pour qui décide de s’en faire l’élève. On dit être à l’école de. Un désir de savoir est mis en jeu.
Lacan maintenant. Excommunié, exclu de l’IPA, Lacan fonde une École. C’est un acte, et comme tel, un franchissement. L’École de Lacan est nouée par deux fois à un acte : un acte de fondation en 1964 et un acte de dissolution en 1980. Fonder l’École freudienne de Paris introduisit une rupture avec l’IPA. L’idée de Lacan était d’aller contre la déviation qui avait dégradé la praxis à l’époque, et contre les effets imaginaires qui infiltraient les sociétés de psychanalystes. Il visait à restaurer le soc tranchant de la vérité de l’enseignement de Freud. La fondation de l’École est ainsi la mise en acte du retour au sens de Freud qui animait Lacan depuis les débuts de son Séminaire.
L’École de Lacan, enfin. Lorsqu’on lit le syntagme dans le sens du génitif subjectif, il s’agit de l’École voulue par Lacan. Lu au génitif objectif, c’est se mettre à l’École de Lacan, soit retourner aux textes et apprendre à lire, ce qui suppose d’y « mettre du sien », comme Lacan l’indique en ouverture de ses Écrits. Se mettre à l’école de Lacan, c’est se faire les élèves des textes, le mot élèves figurant dans cette même ouverture. En un mot, pour moi, l’École de Lacan constitue le moyen pour se mettre à l’école de la rigueur de Lacan et de son désir de savoir et de transmettre.
@propos : Lorsque Lacan fonde son École en 1964, il invente un dispositif de travail dont il dit qu’il est l’organe de base de cet École : le cartel. La rentrée des cartels est un temps important de rencontres qui peut permettre à tous de se constituer en cartel et de se lancer dans cette expérience de travail toujours inédite. Que pouvez-vous nous dire de ce « travail de cartel » ?
D. C. : La rentrée des cartels est un temps fort du travail du/en cartel. Aussi, je vous remercie de l’invitation que vous m’avez faite d’y participer. Le cartel est le moyen électif de cette mise à l’école de Lacan. Le cartel est affine à l’École, il lui est noué. On le voit quand on relit l’« Acte de fondation » et le séminaire « Dissolution ».
En 1964, Lacan adopte, pour l’exécution du travail, « le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe »2, le cartel. Au cartel se nouent trois termes : travail, engagement, École. En 1980, Lacan dissout son École. Cinq leçons suivront, publiées sous le titre « Dissolution ». Dans la seconde, « D’écolage », Lacan réaffirme l’importance du cartel pour l’école à venir. « D’écolage » : belle trouvaille ! Lacan appelle de ses vœux une contre-expérience de l’École freudienne de Paris qui s’était engluée dans des effets de colle. Pour ce faire, il convoque le cartel. On voit combien il juge crucial le cartel, pour son École et pour la mise au travail de ses membres. Il en affine la formalisation, posant que les cartellisants poursuivront un travail qui doit avoir son produit, « propre à chacun, et non collectif »3. Et que sera attendue « une mise à ciel ouvert des résultats comme des crises de travail »4.
D’écolage dit bien ce qu’est le travail du cartel.
Quatre cartellisants, plus-un, lui-même cartellisant et extime, se mettent au travail. Ils se sont donnés chacun un sujet de travail. Ils entrent ensemble dans le cartel, ils avancent ensemble, et en sortiront ensemble. Que l’un parte, et c’est le nœud qui se défait5. Quelle est la spécificité du cartel et du travail qui s’y fait ?
D’une part, le cartel n’est pas un groupe. Il s’en décolle. Une permutation se fera au bout d’un an, voire deux, afin de prévenir l’effet de colle. Le tirage au sort permettra « le renouvellement régulier des repères créés aux fins de vectorialiser l’ensemble »6. D’autre part, par le plus-un qui provoque l’élaboration7 sans être un maître, le savoir produit ne relèvera ni du maître, ni de l’universitaire. Le cartel va contre l’académisme, s’en décolle : rien à voir avec un séminaire ou un cours magistral. Enfin, chacun des cartellisants, venant avec son désir et son sujet de travail, aura chance de produire un savoir qui lui soit propre et qui vienne se décoller du savoir déjà-là, le trouer. Pour peu que le cartellisant y consente, un savoir non calculé à l’avance, se produira.
@propos : Une dernière question, en avant-première et en exclusivité pour @propos, pourriez-vous nous donner quelques indications sur ce dont vous allez nous parler ?
Dominique Corpelet : Le travail du cartel est une façon de s’engager dans un transfert à l’École : en s’engageant d’abord avec quelques autres, dans un travail rigoureux des textes et des concepts ; en s’engageant dans l’École et le travail qui s’y effectue ; enfin en s’engageant pour la psychanalyse et pour la Cause freudienne, non sans un nouage à l’expérience analytique de chacun.
Je voudrais profiter de l’invitation que vous me faites pour mettre au travail le nouage entre cartel et École. Lacan pointe une homologie de structure entre les deux (circularité, permutation et vectorialisation sont autant de termes qu’il rapporte à l’un comme à l’autre). Dans « Dissolution », Lacan dit : « mon École serait Institution, effet de groupe consolidé, aux dépens de l’effet de discours attendu de l’expérience »8 freudienne. Là, c’est le constat d’échec de l’École freudienne de Paris. Il dit ensuite : « je n’admettrai personne à s’ébattre dans la Cause freudienne, que sérieusement d’écolé »9. Là, c’est un Lacan qui a su s’enseigner des échecs. Enfin, il dit : « La Cause freudienne n’est pas École, mais Champ – où chacun aura carrière de démontrer ce qu’il fait du savoir que l’expérience dépose. »10 Là, c’est un Lacan qui ouvre tout un champ… En quoi le cartel permet-il d’être sérieusement d’écolé ?
@propos : Cher Dominique Corpelet, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à ces questions. Nous vous donnons donc rendez-vous le 17 septembre à Nice pour poursuivre ce travail déjà engagé.
1 Freud S., Totem et tabou, Paris, Payot, 2001, p. 199. Dans le texte allemand, le terme est Brüderschar : clique, association.
2 Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.
3 Lacan J., « Dissolution », Aux confins du Séminaire, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 56.
4 Ibid.
5 Cf. Ibid., p. 46.
6 Ibid., p. 57.
7 Ibid., p. 56. Voir à ce sujet Jacques-Alain Miller, « Cinq variations sur l’élaboration provoquée », La lettre mensuelle, n°61, École de la Cause freudienne, 1987.
8 Lacan J., « Dissolution », Aux confins du Séminaire, op. cit., p. 47.
9 Ibid., p. 55.
10 Ibid., p. 57.