SECTION CLINIQUE DE NICE
SESSION 2022 - 2023
TOUT LE MONDE DÉLIRE
... à chacun sa façon
Argument
À l’heure où la dépathologisation de la clinique est de plus en plus présente dans les institutions, le terme de « délire » circule largement dans la société contemporaine.
Ce signifiant réservé jusqu’alors à la clinique psychiatrique est passé dans le discours commun pour caractériser des états de sidération, d’extravagance – soit ce qui excède l’ordinaire. Le « c’est du délire ! » est désarrimé de la clinique et perd sa spécificité pour rejoindre un universel.
L’aphorisme de Lacan, écrit pour défendre la faculté de Vincennes menacée de disparition, est le suivant : « Comment faire pour enseigner ce qui ne s’enseigne pas ? Voilà ce dans quoi Freud a cheminé. Il a considéré que rien n’est que rêve, et que […] tout le monde est fou, c’est-à-dire délirant.[1]»
Le délire comme discours
Au début du XXe siècle, la clinique psychiatrique s’est intéressée à la question du délire dans ses rapports avec la psychose. Des aliénistes célèbres ont exprimé des positions opposées : certains ont vu une discontinuité entre délire et psychose quand d’autres ont établi un continuum entre les deux.
Freud, dans son texte de 1924 revient sur le rapport à la réalité dans la névrose et la psychose et conclut : « pour la névrose comme pour la psychose, la question qui vient à se poser n’est pas seulement celle de la perte de la réalité, mais aussi celle d’un substitut de la réalité[2]». Ces deux entités cliniques ont donc un rapport à l’activité fantasmatique qui, pour être différent dans la forme, possèdent une structure identique.
Dans son dernier enseignement, Lacan va apporter un éclairage nouveau en faisant du délire un discours articulé. Avec la mise en avant de « moments féconds » dans la psychose – les phénomènes élémentaires – il établit que ces phénomènes qui sont structurés comme un langage, sont l’équivalent des formations de l’inconscient dans la névrose.
Face à la psychose, l’analyste lacanien ne recule pas. Bien au contraire, il accueille le délire de son patient et vise à le réduire à une « métaphore délirante » compatible avec le lien social.
Le délire pour tous
Avec l’invention du nœud borroméen, Lacan dégage une nouvelle voie qui permet à chacun de trouver un nouage singulier des trois registres, imaginaire, symbolique et réel, et de bricoler un savoir y faire dans l’existence.
Ce dernier enseignement est un bouleversement inaugurant une autre clinique. Le rapport au langage n’est plus premier, la vérité est « menteuse », le hors-sens domine et le délire est une façon de se défendre du réel.
Rien n’est que rêve
Freud fait du rêve la voie royale vers l’inconscient. Il pose également que parfois on rêve, parfois on ne rêve pas. Lacan s’en écarte et généralise le rêve en disant que d’une part nous rêvons tout le temps et que, d’autre part, on ne se réveille que pour continuer à rêver.[3]
Nous rêvons donc toujours, souvent sans le savoir. Les fictions de nos vies, nos croyances, celle du Nom-du-Père, d’une vérité qui serait toute, ces souvenirs qui nous obsèdent, ne sont que rêves que la fin de l’analyse déconstruit ouvrant une voie nouvelle vers un bout de réel qui offre la possibilité de se réveiller un jour.
Telles sont les quelques pistes que nous mettrons au travail cette année, en suivant la proposition de Jacques-Alain Miller lors de sa conclusion des Grandes Assises Virtuelles Internationales[4] pour l’avenir de la psychanalyse : « mettre notre pratique au pas de cette nouvelle ère ».
Chantal Bonneau
[1] Lacan J., « Lacan pour Vincennes ! », Ornicar ?, no 17/18, printemps 1979, p. 278.
[2] Freud S., « La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose » (1924), Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF,1988, p. 303.
[3] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 52-53.
[4] https://www.grandesassisesamp2022.com « La femme n’existe pas », qui ont eu lieu par visioconférence du 31 mars au 3 avril 2022.

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