SECTION CLINIQUE DE NICE
(Association UFORCA-Nice)
SESSION 2024 - 2025
LES VARIÉTES
DE L'HUMEUR
Argument
Ce qu’on appelle couramment « variétés de l’humeur », c’est la palette des couleurs que peut prendre le sentiment de la vie[1]. C’est la bigarrure des façons de se sentir, d’éprouver les choses, de voir le monde et d’être affecté par les événements. Ce spectre coloré va de la tristesse à la joie, de la souffrance au plaisir, de l’abattement stuporeux à l’enthousiasme qui donne des ailes. On se sent amer ou aigre par exemple, ce que l’antiquité mettait au compte des sécrétions internes de l’organisme, ces humeurs, donc, comme la bile du foie et surtout la « bile noire » ou atrabile[2], soit les hormones surrénaliennes qui se nomment aujourd’hui cortisol ou adrénaline. C’était déjà une façon de dire que le sujet n’avait pas plus de prise sur ses manières de sentir, que sur ses passions : il les subit.
Les aliénistes, précurseurs des psychiatres, ont mis l’ordre de la raison dans ces dénominations approximatives, leur gardant leur caractère organique et endogène, en classant et sériant les variétés de l’humeur sur un axe à deux pôles : la manie et la mélancolie.
Là encore, les noms viennent de l’antiquité grecque, la manie[3] étant l’état de celui qui est porté par la fureur et l’élan des dieux, et la mélancolie ayant sa source dans la noirceur de l’âme et les fonds obscurs du psychisme. Mais les classifications sauront aussi tenir compte d’une différence d’un autre ordre, permettant de distinguer les états transitoires et aigus et les formes chroniques, celles qui sont référées à des causes conjoncturelles et repérables, qu’on dira « réactionnelles » et celles qui sont soumises à l’automaton de cycles et des saisons ; celles qui seront dites dialectisables et donc névrotiques, et celles qui ne le sont pas[4].
Plus récemment, tenant compte du bouleversement de la clinique par la pharmacopée et de façon empirique, certains définiront les dépressions par leur réceptivité aux antidépresseurs et les cyclothymies par leur réactivité aux régulateurs de l’humeur.
La contribution de la psychanalyse à cette nosographie psychiatrique est toutefois essentielle. Elle prend d’abord son départ du texte de Freud Deuil et mélancolie[5]. Celui-ci ne se contente pas de décrire des signes observables comme critères de diagnostic. Il aborde la question de la pente dépressive par le biais de la structure, c’est-à-dire en lui attribuant une cause. Il s’agit alors de se demander comment tel sujet donné se défend face à une expérience humaine aussi fondamentale que commune : la perte de l’objet. Dispose-t-il des mécanismes psychiques qui permettent de surmonter celle-ci, ou le trou de la perte est-il insymbolisable ? La réflexion prend alors deux aspects : celui de la perte et de l’objet concerné d’une part, et celui des défenses dont le sujet dispose, ou dont il doit pallier l’absence par une invention de son cru.
Freud amènera aussi un outil décisif, avec son invention de la pulsion de mort[6], faisant de la mélancolie une culture pure de celle-ci, dans laquelle le sujet s’identifie radicalement à son objet perdu[7]. A contrario, la manie qui peut s’avérer aussi destructrice, apparaît comme une tentative aussi désespérée qu’illusoire de se délester de cet objet sur son versant de déchet[8].
Ce que Lacan amène dans ce domaine est une accentuation du déplacement de la focale. Faisant fi des faux débats sur psychogénèse et organogénèse, c’est en effet en termes moraux, qu’il aborde la question : comment le sujet traite-t-il avec sa jouissance et quelle position prend-il à l’égard de son désir ? Le scandale est ici de faire de la dépression une faute morale[9] (comme le faisaient les théologiens du moyen-âge qui décrivaient l’acédie). Mais ce scandale est aussi un levier d’Archimède qui permet de suggérer une issue aux affres de l’humeur comme au désespoir, à la douleur d’exister et à la difficulté d’être, par une orientation éthique : ne pas céder sur son désir[10].
Dans les dernières décennies, on a pu apercevoir un phénomène de civilisation qui s’est traduit dans la psychiatrie par une mise en avant de la « maladie dépressive ». Nous sommes en effet à l’époque de la science du bonheur, de l’économie du bonheur, la psychologie positive mise en avant par Lord Layard[11]. En effet « le discours de la quantification cherche à s’emparer des émotions. La campagne d’information sur la dépression[12] ça n’est pas autre chose. C’est s’emparer au tréfonds de l’être de la tristesse, et [de] recouvrir cette émotion intime d’une base infecte. Elle essaye aussi d’intégrer à part entière les phénomènes du subjectif dans des protocoles de recherche.[13]» L’affect devient maladie et avec Big Pharma la maladie dépressive est devenue la maladie définie par l’antidépresseur comme étant ce qui y réagit. Peu à peu, capitalisme aidant, elle envahit de nouveaux pays tel le Japon qui ne la connaissait pas. Elle se féminise et touche de plus en plus les jeunes et les enfants. Il y a donc un enjeu à redonner la parole au sujet afin qu’il se mette en accord avec son désir, ou qu’il trouve une invention qui lui permette de border le trou creusé par la perte de l’objet.
[1] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558 : « Il est clair qu’il s’agit d’un désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet ».
[2] Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, 1992, p. 220 : atrabile, bile noire, et la traduction empruntée au latin, du grec melankholia. Molière sous-titre son Misanthrope, L’atrabilaire amoureux.
[3] Ibid., p. 1181 : du grec mania, « folie, fureur » et « passion, enthousiasme inspiré par la divinité ».
[4] Dans Deuil et mélancolie, Freud fera cette distinction, à partir du critère de ce qu’il appelle à l’époque « choix d’objet », soit le choix d’objet libidinal proprement dit, c’est-à-dire névrotique, soit le choix narcissique, qui correspond à la psychose.
[5] Freud S., « Deuil et mélancolie », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 145.
[6] Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 41.
[7] « L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l’objet abandonné », « Deuil et mélancolie », op. cit., p. 156.
[8] Ibid, p. 165.
[9] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2002, p. 526 : à propos de la « tristesse », qualifiée de dépression : « Mais ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza : un péché ».
[10] Lacan J., Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 368 : « la seule chose dont on puisse être coupable, au moins dans la perspective analytique, c’est d’avoir cédé sur son désir ».
[11] Sir Richard Layard, Le prix du bonheur. Leçons d'une science nouvelle, trad. Christophe Jaquet, Paris, Armand Colin, 2007.
[12] Campagne qui a eu lieu en France en 2008 et qui a eu pour résultat le fait que de plus en plus de gens se sentent mal, et donc une augmentation des prescriptions.
[13] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne : Nullibiété. Tout le monde est fou », cours du 14/11/2007, inédit.
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• Elles ont lieu à l’hôpital, tantôt au Centre Hospitalier d’Antibes (Service du Docteur Dubreuil) ou au Centre Hospitalier Princesse Grace de Monaco (Service du Docteur Aubin).
• Elles se déroulent le mercredi.
• Un patient hospitalisé dans un des services qui nous accueille est choisi par celui-ci et rencontre un analyste pour une unique occasion. Il s’agit, au-delà d’une visée diagnostique, de lire le symptôme du patient, son incidence sur sa vie et son lien avec son histoire subjective. La prise en charge et l’action thérapeutique donnent lieu à une réflexion éclairée par les concepts analytiques. Ainsi est mise en valeur la diversité des solutions et des tentatives de stabilisation dans le lien social.
• Le calendrier des présentations cliniques sera communiqué aux seuls inscrits.
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